Textes

par PARENT Gérard

 

Je voudrais vous mettre dans ma poche et marcher longtemps

Ed Paterne Berrichon 1995

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                 Pierres du Vellan.

Tas de pierres, vol en suspens, chutes, impossibilité d’envol.

Abandonné.

J’ai imaginé une barque de pierres sertie de

J’ai erré.

Je n’ai pas osé prier, j’avais encore à perdre.

Je me suis nourri de votre nerf vital, j’ai bu votre substance.

J’aimerai tant que chaque ligne tracée soit restitution.

Entassements muets.

Le voyageur des Andes, lorsqu’il franchit un col, s’y arrête et dépose une pierre.

Des hommes-enfants sont-ils venus, chacun signant sa trace ?

Pyramides du passage.

Pierres fendues, percées, plissées, entaillées, posées, il m’a semblé que le creux noir qui vous dessine tremblait d’attendre.

Je vous ai prises dans ma main, l’indicible m’a glacé.

J’ai cru voir, entre deux courbes, la lisière d’un grand vide.

Absence. Ou ce qui n’a pas encore été dit ?

En breton on nomme la pierre maen.

Corps de pierre, respirations figées, sensualités contenues.

Tumulus, dolmen, cairn, cromlech, monolithe, mégalithe, pyramide, omphalos, bétyle, beïth-el, menzeh, stèle, cénotaphe, tombe. J’ai repris mes esprits, à peu près debout.

Précaire.

Qui, quoi assemble vos molécules ? Et pour combien de temps ?

Virtuel.

Vous étiez monolithes sacrés. Un index géant vous ont émiettées.

Cénotaphes couchés dans l’herbe.

Où sont ces corps ?

J’ai espéré une révélation. J’aime votre silence rangé. Il n’y a pas de réponse.

Je suis sûr que le vent pourrait disperser ce recueil, pourtant il vous a couvertes d’une peau de lichen gris.

Dessous, enfoui, à cœur, gisant, tout est là.

Vertige.

“Qui dira par une bouche amère

ce qui tient mon âme emprisonnée"

J’ai couru après des signes. Allant trop vite, je suis tombé la tête la première. J’avais la bouche pleine de pierres, un goût salé et des ombres tranchantes y refluaient.

Compressions, déchirures, éruptions, plissements, vous ont accouchées.

 Violence.

L’enfant est doux pourtant. J’ai posé ma joue sur votre ventre tendu et frais, androgyne.

 Paix.

Je me suis réconcilié avec le monde.

J’aime vos courbes et votre peau à histoires.

Autrefois les femmes de Lomariaquer se frottaient le ventre de la poussière des dolmens pour appeler à la fertilité.

Peau contre poussière de peaux.

Enfant je piquais d’une aiguille les rochers de Plougastel et je faisais un vœu. Aujourd’hui, étendu sur vos arêtes, livré, des milliers de fourmis me picorent le cœur. Je voudrai retirer ces tiges de métal, vous mettre dans ma poche et marcher longtemps, longtemps.

Lourd.

Léger.

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La nuit d'automne 

   La « nuit remue » disait l'autre. Pourtant elle semble tranquille, juste éveillée. Le vent se lève et agite  les feuilles du grand chêne. La quiétude se trouble. Je ne dors pas.

   J’imagine tous ces points lumineux comme des milliers de lucioles. Je ferme les yeux. Je rêve. Désir d’envol. Je prends appui sur l'air en battant des bras. Je reste sur terre.           

   Raisonnable.

   Je ne dors pas.

   A leur tour les feuilles de l'érable s'ébrouent comme un chien qui sort de l'eau.

   Je ferme les yeux puis les rouvre. Tout disparaît lentement. Impossible de garder ces images. Comme chercher un mot introuvable. Je ferme à nouveau les yeux. Des couleurs et des voyelles : «  A noir, e blanc i rouge, u vert, o bleu ». Je ne suis pas seul, Rimbaud m’accompagne. Cet immense tapis coloré devient musical. Tout communique.

   Cantate profane.

   Dans le noir les lucioles se multiplient. Des millions de pensées s’allument. De quoi tenir debout et d’entamer une longue et belle marche. Comme l'enfant veut attraper les bulles de savon qui fuient et éclatent, je voudrais garder longtemps en moi toutes ces pensées. Mais elles s'envolent et je reste avec mes illusions.

   Je ne dors toujours pas.

   L’espace infini ne m’effraie pas. Silence juste avant l’aube. Une chose était proche, enfouie, cachée. Telle une épiphanie, le noir la révèle à mon insu.

 

                                                                                                                      Octobre 2018

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Eloge des sous-bois       

 

Je me suis perdu dans la lumière des sous-bois

J’ai pensé tout haut en marchant.

Tout est rempli.

Les trous de lumière sont des blancs.

Difficile de laisser des blancs.

Je veux remplir, je ne suis pas plein.

Je n’accepte pas cette défaillance.

Petite fenêtre dans une peinture du Caravage.

J’erre.

Je m’enfonce dans l’obscur comme un caillou dans un creux.

Je voudrais être une feuille morte, une racine, un bois mort, un champignon ou juste un peu de terreau.

Comment dire ?

Je m’échappe et je rêve, j’entends la mer : le vent dans les feuilles.

Je marche.

Une arche de bois tordus s’affaisse.

Il y a de l’abandon et de l’humus.

Et la bruyère comme un répit.

Des brindilles et des lichens comme des cheveux en désordre.

Je m’arrête et gratte la terre sous les feuilles pour chercher encore.

Une « bête à bon dieu » retournée agite ses pattes, je la remets d’aplomb.

Je pense : si j’étais sur le dos, y aurait-il une main qui me remette sur mes pieds?

Car il est difficile d’écrire sur le dos !

Des petites bêtes s’agitent et d’autres minuscules que j’imagine.

La vie est toujours la plus forte.

Un jour peut-être le trait de mon pinceau sera aussi vivant ou mort que ces bois recouverts de mousse.    

  Nov 2009   

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